Pour inaugurer cette partie du forum, je vais commencer par un truc bizarre qui résulte des nuits d'écriture des ateliers du PJE 2014 (*souvenirs, souvenirs* ). Sur la forme, c'est un dialogue, entre personnes qui ont du mal à vraiment communiquer entre elles mais qui partagent le même genre de sentiment : la nostalgie. Je trouve que ce texte est beaucoup plus agréable à entendre qu'à lire, à vous de juger.- Dans les airs, des nuées de pigeons volaient, désordonnées et irrégulières, des masses grises et grouillantes. Les pigeons, ce sont les corbeaux des villes, les corbeaux des pauvres et des citadins. De ceux qui n'ont pas l'honneur de recevoir la visite de la colombe, de la tourterelle ou du rouge-gorge. Question de prestige. Question de chance peut-être. Question de géographie aussi.
- On ne nous apprend plus la géographie à l'école. Nous, on connaît. Les départements et les fleuves de France. Aujourd'hui, c'est Tokyo et le Liban.
- Des tourterelles, j'en avais sur mon balcon. Je leur donnais du pain. À elles, et aux canards du parc aussi. J'y vais tous les matins. Et tous les soirs.
- Ils ne se repèrent plus sur les routes. Ils ne lisent plus les cartes, ils ne parcourent plus les atlas.
- Parfois, il y avait des écureuils.
- Ils se laissent guider.
- Des papillons.
- Tenus par la main.
- On dit des pigeons – mon voisin le dit – que ce sont des oiseaux
voluptueux. Les tourterelles restent en couple toutes leurs vies. Les canards, on les mange – mais pas ceux du parc. Les écureuils aiment le pop-corn et les papillons, je sais pas.
- Moi, j'ai appris des codes postaux et des noms de montagnes. J'ai voyagé au six coins de l'Hexagone, j'ai vu les landes vertes, les Alpes marrons, l'Atlantique bleu profond. J'ai tracé des pointillés, mesurer des échelles. Colorier aux crayons puis frotter avec un buvard du bout des doigts.
- Le pain. Il est dur. Je le mets dans un sac solide, et par-dessus je mets des coups. Le pain est cassé, rompu, en miettes.
- Aujourd'hui, c'est l'internet, c'est l'informatique, c'est l'ordinateur. C'est plus les feutres, le papier, la gomme. Les pays sont devenus des taches de couleur, des valeurs sur un écran. On ne les recrée plus sur nos feuilles. Calquer les contours, replacer les frontières.
- Le pain, tout le monde l'aime. Même les pigeons. Je n'aime pas les pigeons. Ils sont lourds et cons. Voluptueux aussi mais d'une grâce à retravailler.
- Je veux redessiner la Loire et ses affluents.
- Je les chasse à coup de pied loin de mon pain mais ça fait fuir aussi les canards.
- Et l'Alsace et la Lorraine.
- Et les écureuils.
Voilà