Drôle d'expérience

Voilà ma modeste (et première) contribution, j'espère qu'elle vous divertira un peu;)


Alors que le jour s’éveille, j’observe ceux à qui appartient le monde patienter devant mon bureau. Le regard décidé, les épaules en arrière, le sourire commercial et figé, les costumes et autres tailleurs se succèdent, parfois clairsemés de tong/bermuda, nouveaux uniformes pour de nouveaux génies.
Je vous avoue que je suis septique. Mais pas surpris. Je m’y attends depuis que nous avons publié notre annonce. «Cherche personne compétente pour poste à grande responsabilité, capacité décisionnelle requise». En fait il ne s’agit pas d’embaucher mais de tester la capacité humaine à choisir. Mais chut, personne ne le sait pour l’instant. L’idée, c’est de les surprendre, de les mettre en vraie situation de choix, et de voir combien de temps ils tiennent face aux critiques d’un public. Pour cela nous avons un dilemme. Un vrai de vrai. Sans aucun choix évident ou compromis possible. Nous cherchons à mesurer la certitude humaine. Bien sûr tout ne sera pas établi mais l’expérience nous donnera un ordre d’idée. Nos «cobayes» plancheront sur le dilemme puis passeront devant un jury qui exprimera ses doutes devant le malheureux participant.
Voilà donc pourquoi j’inscris à notre expérience la curieuse faune du leadership. Tous se ressemblent un peu. J’ai souvent le droit à un sourire de papier glacé et à un regard vaguement méprisant, après tout je n’ai pas ce qu’ils appelleraient un air de gagnant. Avec un tel concentré d’orgueil, je pense que nous pourrons écrire de belle pages sur l’aplomb humain. Une seule participante me surprend. En robe fleurie, avec cette voix de petite souris et ce regard doux, elle fait un peu touriste. Je doute qu’elle puisse faire grand score vu l’air emprunté de la demoiselle, m’enfin, ce bouton de rose après les loups à quelque chose de rafraîchissant. Et, quelques personnes plus tard, je suis tranquille, il n’y a plus qu’à laisser travailler mes confrères.
Au bout de quelques jours, l’expérience est bouclée. Mes collègues m’ont transmis les résultats. Chose curieuse, une seule personne à réussi à tenir le temps maximum que nous avions fixé. Mais le plus surprenant c’est notre vainqueur: il s’agit de notre jolie touriste. J’y repense entre deux boîtes de tomates concassées, au supermarché. Je me demande bien comment elle a fait pour choisir, et pour ne pas être déstabilisée. Personnellement, je sais que je n’aurais pas réussi... Je me dirige avec anxiété vers la caisse car je vois que le moment de s’intégrer à une file est venu. Trois d’entre elles me font face. La première paraît plus courte, mais les trois quart sont des personnes âgées, ce qui veut dire que le temps sera double. La deuxième est bien trop étendue mais s’avère rapide. La troisième pourrait être un juste milieu, mais un client chiant est à la caisse et comme chacun sait le client chiant est la plaie de l’homme pressé. Ah, l’incertitude me ronge! A moins que la quatrième qui vient d’ouvrir et sur laquelle tout le monde se jette... Je contemple, dépassé par la cohue tandis que quelqu’un trace son chemin en me bousculant. Je m’apprête à protester mais suspend mon geste en apercevant la robe à fleur. Mais c’est ma glorieuse participante! Je ne puis résister, il faut que je lui réclame une explication.
»-Mademoiselle, mademoiselle attendez!» Elle se retourne et moi je perd mes mots, comme le triple idiot que je suis. «-Je... heu... Je suis... enfin... Je ne sais pas si vous vous souvenez de moi...
Indulgente elle me coupe - Oui, vous vous occupiez de l’inscription à l’expérience
- Oui c’est cela, et... mes collègues m’ont fait part du résultat, si ce n’est indiscret comment avez-vous fait. Je veux dire... Pour ne pas flancher?
Elle me sourit chaleureusement - Un vrai dilemme ne peut être raisonné.
- Et alors quoi? Vous avez bien dû choisir, et défendre votre choix non? Si vous n’avez pas raisonné, comment avez-vous fait pour obtenir une solution que vous avez défendue jusqu’à la fin? Sans être torturée par le doute d’avoir fait le mauvais choix s’entend. Quel est votre «truc»?
Elle me regarde droit dans les yeux et m’assène -Parfois, le «truc», c’est qu’il n’y en a pas.» Et sur ces paroles, elle se dirige sans sourciller vers la deuxième file.

Bonjour Fanny ! Bienvenue sur le perchoir ! (N'oublie pas de te présenter dans la section "Dites bonjour".)

J'aime beaucoup la manière dont ta nouvelle s'empare du thème. Plutôt que de nous présenter un dilemme, tu nous offre une réflexion sur "le dilemme" en général. Très intéressant !