Coucou !
Voici un texte un peu spécial, une de mes premières expériences d'écriture. Il s'agit d'une lettre écrite - et jamais envoyée, la raison vous en apparaitra dans le texte - à destination de ma prof de sport de seconde. J'y déploie ma haine envers les cours de natation dans un style qui veut copier - avec plus ou moins de succès - celui d'un célèbre comique radiophonique. A vous de me dire si mes arguments sont convaincants !
Note : L'adjectif "cadurcien" qui apparait dans le texte signifie "de la ville de Cahors", lieu d'écriture du texte.
Pas plus tard qu’il y a deux semaines, j’ai appris de la bouche ridée d’un professeur de sport femelle et acerbe que la dernière trouvaille en date pour nous faire perdre notre cellulite durement gagnée était de tous nous faire remonter la chaine de l’évolution jusqu’à redevenir de vulgaires amphibiens. C’est pourquoi nous sommes tous conviés à la piscine de Cahors avec la ferme recommandation, deux-points-ouvrez-les-guillemets, d’y prendre du plaisir.
Chère Madame la prof de sport,
Sauf le respect dû à votre fessier longuement entraîné à rester assis sur une chaise en regardant les élèves s’escrimer autour d’une balle de volley,
sauf l’humilité due à votre bouche crispée à force de souffler dans le sifflet qui marque chaque jour le début du calvaire des classes de football,
Madame la prof de sport, je voudrais vous demander une précision :
Comment prendre du plaisir ?
Comment prendre du plaisir à, chaque mercredi de chaque semaine du troisième trimestre, s’entasser dans l’autocar tels les ombres dans la barque de Charon pour flotter sur le Styx goudronné jusqu’au Tartare municipal cadurcien ?
Comment prendre du plaisir à se changer à trente dans un vestiaire suintant, à se comprimer les joyaux de familles dans des caleçons moulants au son des chansons paillardes des ex-rugbymen du banc d’en face ?
Comment prendre du plaisir à sortir écumant des douches bouillantes pour aller s’entasser en frissonnant sur la rive carrelée afin d’y recevoir des instructions sévèrement distribuées ?
Comment prendre plaisir à faire la queue au bord du bassin, regardant le plongeoir comme Robespierre la guillotine, pour enfin aller s’écraser dans l’eau avec la grâce du boa du Petit Prince de Saint-Exupéry ?
Comment prendre du plaisir à barboter gauchement dans la solution chlorée, plus occupé à faire sortir le liquide aqueux des divers orifices par lesquels il tente d’envahir nos bronches qu’à décrypter vos instructions hermétiques sensées nous changer en athlète piscicole, et qu’on entend de toute façon pas avec ce foutu bonnet sur les oreilles ?
Comment, comment, comment pourrait-on prendre le moindre plaisir à s’estropier les muscles à parcourir le même bassin de long en large en long des dizaines de fois, exécutant des bras et des jambes toute une encyclopédie de mouvements, gestes, poussées, pédalades, reptations, pourvu qu’on avance suffisamment pour voir défiler les tuyaux du plafond et se prendre l’autre paroi du bassin dans la gueule quand on y va à reculons ?
Bien sûr, me direz-vous, on en voit certains ouvrir les portes vitrées et lustrées de cet hybride de nos deux héritages romains que sont les thermes et les jeux du cirque, ouvrir ces portes donc, et y pénétrer avec le sourire aux lèvres. J’ai cependant le regret de vous apprendre que ces cas se limitent aux merveilles de l’anatomie que sont nos grands sportifs, lesquels compensent leur aversion de l’eau par la fierté d’exhiber au grand public leurs quatre membres durs et musclés (voir cinq lorsque passe une de leurs collègues féminine en deux-pièces ; c’est probablement la mode vestimentaire des baigneuses modernes qui a incité les scientifiques à voir l’eau comme un élément « à queue » - mais je m’égare).
Évidemment, loin de moi l’idée de jalousie ; nous sommes tous égaux, et Dieu nous a tous créés à son image. Mais il est toujours plus valorisant d’avoir été créé par Apollon que par Bouddha.
Ainsi, vous ayant exposé la situation telle qu’elle me l’apparait chaque semaine, je voudrais soulever la question d’un soutien scolaire concernant la méthodologie du cours, à savoir :
Comment éprouver du plaisir à pratiquer cette vulgaire imitation batracienne qu’est la natation ?
Car cela me peine de vous le dire, mais malgré toute ma bonne volonté (car je suis plein de bonne volonté), malgré tout mon enthousiasme (car je suis plein d’enthousiasme), l’ampleur de votre tâche (car vous êtes pleine de taches) est démesurée. Vous seriez la sixième prof à tenter de m’initier à cette activité aquatique, mais comme pour les cinq autres, vos efforts seront vains. La piscine est ma parfaite antithèse :
Moi : Quatre-vingt pour cent d’eau dans le corps
Elle : Quatre-vingt pour cent de chlore dans l’eau
Veuillez agréer l’expression de mes plus sincères sentiments respectueux.